Le labyrinthe du monde , [1] : Souvenirs pieux. Yourcenar, M. Gallimard, Paris, 1974. Country: FR 21 cm.
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Amina Ben Damir
Edition de la Pléiade
L’auteure  reconstitue son  histoire, remontant jusqu’à sa conception et le moment de sa naissance dans une Europe chrétienne du début du XXème siècle où « La maternité était partie intégrante de la femme idéale telle que la dépeignaient les lieux communs » (p. 717).    
1er extrait : La peur de l’accouchement malgré l’envie d’avoir un enfant
   Mais revenons à Fernande. La maternité était partie intégrante de la femme idéale telle que la dépeignaient les lieux communs courants autour d’elle : une femme mariée se devait de désirer être mère comme elle se devait d’aimer son mari et de pratiquer les arts d’agrément. […] il était impensable qu’une femme comblée de tous les dons n’eût pas aussi celui-là…
  Pourtant, bien que ses relations avec ses sœurs fussent fort tendres, elle n’avait annoncé sa grossesse à celles-ci... Plus son terme approchait, plus les pieux ou charmants lieux communs laissaient à nu une émotion très simple, qui était la peur. Sa propre mère, épuisée par dix accouchements, était morte un an après sa naissance à elle, « d’une courte et cruelle maladie » occasionnée peut-être par une nouvelle et fatale grossesse ; sa grand-mère était morte en couches dans sa vingt-et-unième année. Une partie du folklore que se transmettaient à voix basse les femmes de la famille était faite de recettes en cas d’accouchements difficiles, d’histoires d’enfants mort-nés ou morts avant qu’on eût pu leur administrer le baptême, de jeunes mères emportées par la fièvre de lait… (p. 717-718)
2ème extrait : Après la reconstitution de bribes de la scène de l’accouchement, haute en cris, en couleurs et odeurs, ses suites : une peur justifiée ; mourir en donnant la vie
   La belle chambre avait l’air du lieu d’un crime. Barbara, tout occupée des ordres que lui donnait la garde, n’eut qu’un timide coup d’œil pour le visage terreux de l’accouchée, ses genoux pliés, ses pieds dépassant le drap et soutenus par un traversin. L’enfant déjà scindé d’avec la mère vagissait dans un panier sous une couverture. Une violente altercation venait d’éclater entre Monsieur et le docteur, dont les mains et les joues tremblaient. Monsieur le traitait de boucher. Azélie sut habilement intervenir pour mettre fin aux éclats de voix mal réprimés des deux hommes : M. le Docteur était épuisé et ferait bien d’aller se reposer chez lui ; ce n’était pas la première fois qu’elle, Azélie, prêtait son assistance dans un accouchement difficile. Monsieur ordonna sauvagement à Barbara de reconduire le docteur […].
    Avec l’aide d’Aldegonde, appelée à la rescousse, les femmes rendirent au chaos les apparences de l’ordre. Les draps salis du sang et des excréments de la naissance furent roulés en boule et portés dans la buanderie. Les visqueux et sacrés appendices de toute nativité, dont chaque adulte a quelque peine à s’imaginer avoir été pourvu, finirent incinérés dans les braises de la cuisine. On lava la nouvelle-née : c’était une robuste petite fille au crane couvert d’un duvet noir pareil au pelage d’une souris. Les yeux étaient bleus. On refit les gestes faits depuis des millénaires par des successions de femmes : le geste de la servante qui remplit précautionneusement un bassin, le geste de la sage-femme qui trempe la main dans l’eau pour s’assurer qu’elle n’est ni trop chaude ni trop froide. La mère trop exténuée pour supporter une fatigue de plus détourna la tête quand on lui présenta l’enfant. On mit la petite dans le beau berceau de satin azur installé dans la chambre voisine […].
Fernande avait voué au bleu pour sept ans son enfant, quel que fût son sexe, en l’honneur de la Sainte Vierge.
    La nouvelle-née criait à pleins poumons, essayant ses forces, manifestant déjà cette vitalité presque terrible qui emplit chaque être, même le moucheron que la plupart des gens tuent d’un revers de main sans même y penser. Sans doute, comme le veulent aujourd’hui les psychologues, crie-t-elle l’horreur d’avoir été expulsée du lieu maternel, la terreur de l’étroit tunnel qu’il lui a fallu franchir, la crainte d’un monde où tout est insolite, même le fait de respirer et de percevoir confusément quelque chose qui est la lumière d’un matin d’été. […]Le mari de Fernande n’a pas voulu qu’on engageât de nourrice, trouvant odieux qu’une mère abandonne son enfant pour allaiter contre un salaire celui d’étrangers…Il y a en lui, comme chez beaucoup d’hommes de son temps, un Tolstoï à l’état d’ébauche, pris malgré lui dans des usages et des conventions dont il n’a ni le courage ni l’envie de se dépêtrer tout à fait. Il n’est pas question que Fernande se déforme les seins ; l’enfant sera donc nourrie au biberon.
   Le lait apaise les cris de la petite fille. Elle a vite appris à tirer presque sauvagement sur la mamelle de caoutchouc ; la sensation du bon liquide coulant en elle est sans doute son premier plaisir […].
   Le médecin par lequel on avait remplacé le docteur Dubois déclara, tout bien considéré, assez satisfaisant l’état de l’accouchée. Les deux jours qui suivirent se passèrent bien […]. Le jeudi pourtant, une  légère fièvre inquiéta Mme Azélie […].
   Fernande mourut dans la soirée du 18, d’une fièvre puerpérale accompagnée de péritonite. (p.721- 729).

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